Il ne se passe pas un jour sans que l’on se fasse l’écho de souffrances au travail. Et le procès de France Télécom remet sur le devant de la scène les terribles conséquences d’une recherche de performance aux dépens des salariés. Non seulement les salariés ne veulent plus souffrir, mais ils apprécieraient de se trouver dans des situations de bien-être au travail. De leur côté, les dirigeants de nos entreprises ne sont pas fondamentalement opposés à cette idée, mais ils aimeraient avant tout que cette promotion du bien-être au travail ne se fasse pas au détriment de la performance de l’entreprise.
Concilier bien-être et performance reste en effet relativement antinomique pour nombre d’acteurs. Comme s’il semblait difficile d’obtenir de la performance sans souffrance, et comme s’il paraissait délicat de maintenir un niveau élevé de performance avec des salariés en situation de bien-être.
Dans un travail de recherche, nous avons cherché à savoir quelles pratiques de management, parmi les plus courantes dans les entreprises, permettait de servir à la fois le bien-être des salariés et la performance des entreprises, et s’il existait un profil type d’entreprises ayant des pratiques alliant les deux dimensions.
Pas d’effet univoque
Il y a 30 ans sont apparues des pratiques de haute performance (High Performance Work Practices) appelées à se diffuser d’une manière massive au nom d’une standardisation des mécanismes de la performance. Ces pratiques comportent à la fois des éléments qui visent à faire évoluer le travail (travail en équipe autonome ou semi-autonome, enrichissement et rotation des tâches, cercles de qualité, groupes de résolution de problèmes, assemblées du personnel, comités de pilotage etc.), mais aussi des aspects qui ont pour objectifs de mieux impliquer les salariés (rémunération à la performance, ou collective, pratiques sophistiquées de recrutement et de formation, systèmes d’avancement au mérite, bonus collectifs, participation aux bénéfices, dispositifs de sécurisation de l’emploi, rémunérations supérieures au marché, processus de résolution de conflits, etc.).
Nous avons donc choisi d’examiner leur impact aussi bien sur le bien-être que la performance en étudiant à la fois les pratiques de 271 entreprises et leurs situations en termes de bien-être et de performance. Nous avons alors distingué cinq composantes du bien-être au travail (adéquation interpersonnelle, épanouissement, sentiment de compétences, reconnaissance perçue et volonté d’engagement) et quatre composantes de la performance (compétitivité, satisfaction des clients, engagement des salariés et performance sociale). Ces dimensions du bien-être au travail sont celles définies par Dagenais-Desmarais (2010) et les dimensions de la performance sont celles de Vanhala et Tuomi (2006).
L’analyse des résultats montre un ensemble de choses : les pratiques dites de « Haute Performance » n’ont pas un effet univoque sur les différentes dimensions de la performance et du bien-être, comme on le constate à la lecture du tableau ci-dessous.
On note qu’il y a des pratiques qui possèdent un effet localisé et d’autres qui semblent affecter plus largement aussi bien le bien-être que la performance. Par ailleurs, l’une des dimensions de la performance, la satisfaction des clients, n’est nullement affectée par les pratiques visant la performance. De la même manière, la sécurité de l’emploi, si elle est utile pour attirer des compétences, ne joue aucun effet ensuite, ni sur le bien-être des salariés, ni sur la performance.
En revanche, certaines pratiques ont aussi bien un effet sur le bien-être que sur la performance. Il en est ainsi des politiques de participation des salariés, mais aussi des formations innovantes et des dispositifs qui visent à améliorer la gestion des carrières et l’évaluation. Nous avons là affaire à des outils qui sont associées aussi bien au bien-être des employés qu’à la performance de l’organisation.
Mais ces pratiques doivent aussi être observées pour ce qu’elles ne font pas. Aucune d’entre elles n’est associée négativement avec le bien-être ou la performance. Et aucune n’est associée négativement avec l’un de ces éléments et positivement avec l’autre. Cela signifie que si les actions qui sont réalisées au nom de la performance ne sont pas toujours associées à une performance réelle, au moins, elles ne dégradent pas le bien-être des salariés et réciproquement.
Le bien-être n’est pas une question de taille
Notre étude, portant sur 271 entreprises du secteur public et privé, a pu mettre en évidence que, si la taille et le chiffre d’affaires de l’entreprise a un effet sur plusieurs dimensions de la performance, il n’en est rien en ce qui concerne le bien-être au travail. La taille de l’entreprise jouant négativement sur l’engagement des salariés et la performance sociale alors que le chiffre d’affaires de l’entreprise joue positivement sur la compétitivité et la performance sociale. Ainsi, il n’existerait pas de profil type d’entreprise où il fait bon travailler, la taille de l’entreprise ou encore son chiffre d’affaires de l’entreprise n’affectant pas le bien-être de ses salariés.
En matière d’innovation sociale, l’initiative conjointe de BNP Paribas, Danone et Engie visant à soutenir l’intrapreunariat à impact positif, c’est-à-dire l’idée de donner les moyens aux collaborateurs de concrétiser leurs propres idées en projet d’intérêt pour l’entreprise, montre que les grandes entreprises commencent à incorporer cette idée qui vient soutenir les pratiques de participation aux décisions et de gestion de carrière.
On peut citer également le cas des caisses allocations familiales qui font la promotion d’une qualité de vie au travail au service du bien-être au travail et de la performance, ou bien du conseil départemental de la Savoie qui identifie le bien-être et la santé au travail comme un axe stratégique au service des salariés et de la population locale.
À la lumière de ces éléments, nous pouvons clore au moins une partie du débat : le bien-être ne s’oppose pas à la performance et les démarches mises en place pour favoriser la performance ne sont pas associées avec moins de bien-être. L’idée que la performance doit se faire aux dépens du bien-être des salariés est donc battue en brèche par ces résultats.
Au moment où la recherche de compétitivité apparaît comme un dogme tout puissant devant surpasser tous les autres, ces éléments plaident pour une action résolue en faveur du bien-être des salariés. L’excuse d’une priorité donnée à la performance ne tient plus. Travailler au bien-être, c’est avant tout créer les conditions de la performance, et vice versa. Ainsi va la résolution de ce paradoxe.
Cet article est republié à partir de The Conversation. Lire l’article original.